Dicton du jour : "jus de papaye, terreur des entrailles !"
François a mal digéré ce mélange épais et fade de pulpe et de liquide indéfinissable servi au petit déjeuner. Il l'exprime à sa façon.
L'une des visites les plus attendues de notre voyage, les fameuses lignes de Nazca, figure au programme de la journée.
J'ai le privilège, apprécié, de bénéficier de la place avant près du chauffeur du minibus. Je suis ainsi aux premières loges pour saisir l'instant, car sur ces longs parcours, il ne peut être question de marquer de trop fréquentes pauses.
Peu après Ica, quelques cabanes en nattes tressées sont posées à même le sable en bordure de la route et jusqu'au flanc de la montagne. Espacées de quelques pas les unes des autres, ce sont de simples cubes de trois à quatre mètres de côté. De gros galets peints en blanc délimitent le territoire de chacune et dessinent un chemin symbolique jusqu'au bord de la route. Habitations précaires en plein désert; nous nous interrogeons sur les conditions de vie de leurs habitants.
La route est comme un long ruban gris posé sur d'immenses étendues désertiques et plates à perte de vue. Alternance de sable, de rocailles et parfois de maigre végétation dont on se demande de quoi elle se nourrit.
De temps à autre, la plaine laisse place à un terrain plus accidenté, sans transition.
Les amortisseurs du véhicule ne sont pas mes alliés, et j'ai du mal à fixer quelques images.
Au loin, la majestueuse Cordillère des Andes dresse ses cimes enneigées, spectacle magique et empreint de solennité.
Alors que nous roulons depuis un bon moment dans ce no man's land, j'aperçois un type qui marche à une dizaine de mètres du bord de la route, parallèlement à celle-ci. Vêtu pauvrement, il semble indifférent à notre passage. A des kilomètres à la ronde, il n'y a rien, que le sol sec et le soleil. Qui est-il, où va-t-il ? Mystère.
Nous croiserons ainsi de temps à autre des personnages qui semblent surgis de nulle part et marchent, inlassablement.
Si l'on me demandait de décrire le péruvien moyen à travers ce bref séjour, je ferais la caricature d'un être qui marche en portant des paquets.
Le péruvien, et plus souvent la péruvienne, marchent. Ils marchent le jour, ils marchent la nuit, dans les champs, les rues, le long des routes. Solitaires ou en couples, ils marchent en portant des fardeaux. Les femmes portent sur le dos leur plus jeune petit, enveloppé dans une sorte de grand châle multicolore. Les autres, enfants et vieillards, portent de lourds fagots de bois, de fanes de maïs ou plantes diverses. Parfois même ils courent. On a l'impression que sans ces fardeaux, ils seraient comme privés d'un membre ou d'un organe vital.
Et ils marchent; et la peau de leurs pieds semble aussi dure que le cuir de leurs sandales.
Et ils portent des fardeaux…
Ils semblent marcher à la recherche du temps, dans ce pays étrange et parfois disparaissent, comme volatilisés.
Les ai-je vraiment vus ou était-ce un mirage ?
De gros camions, comme les trucks américains, fréquentent cette route qui franchit tout le continent, du Canada à Ushuaia, à l'extrême pointe de l'Amérique du sud.
Je pense à « Duel », le film qui a fait connaître Spielberg. Une référence, un « must » ! Je vois arriver en face de nous un camion rutilant dont les vitres sont rendues opaques par la lumière du soleil.
On s'y croirait ! Le désert est vraiment propice aux fantasmes.
Sur le côté gauche de la route, une voiture de police, protégée par une sorte d'abri en bambou. Deux flics sont couchés sur le dos, à l'ombre, presque entre les roues du véhicule.
Ils font la sieste. Un troisième semble faire la conversation à son casse-croûte étalé sur le capot du véhicule.
Contrôle de vitesse ? Dans ce coin perdu, la recette ne doit pas être fructueuse.
Nous croiserons aussi le long de cette route déserte quelques militaires allongés au soleil, leurs gilets pare-balle étalés comme du linge sur des fils de fer.
La conduite des péruviens nous a plongés dans un abîme de perplexité.
Il existe comme chez nous des chaussées matérialisées par des lignes continues, dans les villes comme sur route.
Les véhicules quels qu'ils soient, taxis, autocars… franchissent allègrement ces lignes, y compris en virage sans visibilité, de jour comme de nuit, pour doubler.
Ceci est déjà troublant, mais imagine le gars, en cinquième, en haut d'une côte, dans un virage, sur une route de montagne, du côté du précipice, qui tente un dépassement sans rétrograder !
Car ils ne rétrogradent jamais !
La manœuvre est parfois vouée à la réussite, grâce au faible trafic. Mais si par hasard un perturbateur s'avise d'arriver en face, il ne reste plus au chauffeur qu'à se rabattre brutalement et à reprendre graduellement de la vitesse, toujours sans rétrograder, pour tenter un nouveau dépassement.
Et ainsi pendant des kilomètres.
Une petite demi-heure avant l'arrivée à Nazca, un mirador se dresse sur le bord de la route. Deux types installés à son pied vendent sur des tréteaux des pierres peintes représentant des motifs des lignes de Nazca.
En plein soleil, avec leur chapeau en guise de parasol.
Nous faisons une halte. Moyennant quelques soles, on peut avoir un premier aperçu des lignes en montant sur le mirador. A une dizaine de mètres du sol, on devine un vague dessin, mais la hauteur est insuffisante pour se faire une idée vraiment convaincante.
Nous reprenons la route de Nazca.
Nous arrivons sur l'aérodrome. De petits zincs à quatre places assurent un va-et-vient permanent au-dessus de la zone des lignes, vaste plateau désertique où sont gravés les célèbres dessins.
Autour, posées sur le plateau comme un flan dans une assiette, quelques chaînes de montagne dans des tons d'argent et de rouge. La plaine et la pente des montagnes sont sillonnées de nombreuses traces de ravinement.
Je suis intrigué par un vol de vautours tournoyant au dessus des pistes. Que viennent-ils y chercher ?
Y aurait-il quelque touriste à se mettre sous le bec ? Vérifier l'état des avions ! Tenter d'en choisir un en bon état !
Au bord de la piste, un petit atelier où les appareils sont remis en peinture. C'est déjà ça.
Les deux humoristes, François et Daniel, m'accompagnent pour ce vol.
Nous nous installons; je prends comme d'habitude la place de devant, à côté du pilote. Sur le tableau de bord, un écriteau pas discret du tout invite les passagers à laisser un pourboire.
Après avoir ajusté nos casques, nous décollons. Même sensation que sur les chemins caillouteux, dans les minibus sans amortisseur ; on a l'impression d'aimer la route jusqu'à l'épouser dans ses moindres reliefs, sauf que ça se passe en l'air.
Le pilote nous indique un premier dessin. Bien qu'il s'agisse d'une baleine, on ne voit rien. Qu'à cela ne tienne, il opère un brusque changement d'angle, pivotant d'un seul coup de 50 à 60 degrés. Nous nous retrouvons presque collés aux vitres. Pour que chacun puisse profiter du spectacle, il opère sans transition la même manœuvre de l'autre côté.
Manœuvre répétée avec la plus grande application pour chaque nouveau dessin dont il émet le commentaire nasillard dans nos casques.
Les marins bretons disent qu'il faut bien se caler l'estomac pour affronter le mal de mer.
Il est en effet préférable de s'alimenter, sans excès, avant d'embarquer.
Le truc consiste aussi à ne pas accompagner le bateau ou l'avion dans ses mouvements, en maintenant le regard sur un point fixe.
J'ai mitraillé sans cesse et ai de ce fait ressenti le problème avec moins d'acuité que mes comparses, mais nous sommes néanmoins tous redescendus un peu blêmes.
Croisant l'équipage du vol suivant, nous avons hypocritement tenté d'afficher des mines sereines en nous exclamant : "c'est génial !" .
L'histoire rapporte qu'une passagère de notre groupe aurait cédé au mal de l'air, révisant du même coup le contenu de son petit déjeuner. Ce ne sont probablement que des racontars.
Cette situation n'a pas atténué notre intérêt pour le but principal de la visite : voir les lignes de Nazca. Ces lignes, tracées sur un immense plateau, font parties des nombreuses énigmes de ce continent. Certaines atteignent 800 mètres de long et parfois davantage, traversant même des zones montagneuses, ce qui permet à certains d'avancer des théories où intervient l'aéronautique.
Car ces lignes ne sont déchiffrables qu'à une altitude de plusieurs centaines de mètres pour la plupart d'entre elles et même s'il est possible de trouver une explication rationnelle à leur réalisation, on peut se demander pourquoi et comment elles ne pouvaient se déchiffrer que du ciel.
Les différentes personnalités qui se sont penchées sur l'étude de ces dessins hors du commun ont émis des hypothèses qui ont été contredites les unes après les autres.
Les lignes de Nazca gardent donc toujours leur secret.
Elles ont été préservées de l'usure du temps grâce au climat particulièrement aride de cette région, l'une des plus sèches au monde, où la durée des précipitations annuelles ne dépasse pas 20 minutes.
L'heure à laquelle nous avons survolé les dessins et la lumière qui s'étendait alors sur le désert n'étaient pas idéales pour parfaitement les distinguer, mais néanmoins impressionnés par ce spectacle, nous sommes repartis heureux et fiers d'avoir pu satisfaire notre curiosité et survolé un des plus grands mystères de la planète.
L'hôtel voisin de l'aéroport est un espace de calme et de verdure.
Nous nous installons pour déjeuner à l'ombre, pas très éloignés de la piscine, désertée malgré un soleil radieux. Les effectifs ne sont pas au complet . Certains ont préféré marcher un peu sous les palmiers pour évacuer le malaise du survol des lignes.
Isella, notre guide
Les momies nous attendent !
Isella, notre jolie guide indienne, nous entraîne vers de nouvelles aventures.
Sept kilomètres de pistes dans le sable du désert. Du sable, rien que du sable.
Au détour d'une petite dune, un cimetière en plein désert. Sur le chemin du retour, je demanderai au chauffeur une brève halte pour prendre quelques photos.
J'ai à ce moment un nouveau flash "cinéma". Cet endroit me fait penser à ces films de Sergio Leone, où les bons et les méchants s'affrontent dans des déserts parsemés de croix.
La montagne en toile de fond...j'entends la musique d'Ennio Moricone !
Le site de Chauchilla où se trouvent les sépultures contenant des momies est singulier.
Une petite bâtisse abrite un mini musée et des toilettes.
Les tombes contenant les momies sont à l'air libre, en plein désert, réparties sur quelques dizaines de mètres. Elles sont au nombre de douze. Ce sont des fosses dont les fouilles ont mis à jour les enceintes de brique d'adobe.
Quelques momies, crânes et ossements sont judicieusement disposés au fond de chaque cavité. Parfaitement entretenues. J'ai osé demander, sans obtenir de réponse, qui passait l'aspirateur tous les matins.
Des abris faits de poteaux et de bambous protègent chaque tombe et nous permettent d'écouter à l'ombre les explications détaillées de notre guide.
Certains crânes allongés, comme au musée d'Ica, laissent supposer que des personnes d'un certain rang ont trouvé ici leur ultime demeure.
Nous terminerons la journée par la visite d'un aqueduc. Passer ainsi du désert aride à une végétation dense et verdoyante est une sensation à la fois étrange et presque naturelle, dans un pays où les décors les plus divers alternent sans transition.
L'occasion de visiter un champ de coton – après récolte – et de cueillir un petit cocon blanc en souvenir.
Des paysans rentrent chez eux en longeant un petit mur de pierre. Ils poussent devant eux ânes, vaches et chèvres, dans la lumière dorée qui va dans quelques minutes laisser la place à la fraîcheur nocturne. Déjà, le soleil rougeoyant a amorcé sa descente et disparaît rapidement derrière les cimes lointaines qui se sont teintées d'ocre rouge.
Journée bien remplie, nous rentrons nous aussi au bercail.